Jugé apte à être libéré par la Commission d'examen des troubles mentaux, mercredi, Guy Turcotte devait recouvrer sa liberté jeudi en quittant l'Institut Philippe-Pinel de Montréal.
M. Turcotte, qui a été reconnu non criminellement responsable du meurtre de ses deux enfants, est libre de quitter l'établissement de psychiatrie, mais doit respecter certaines conditions.
L'équipe de psychiatres qui l'a suivi estime qu'il n'est pas malade et qu'il ne représente plus un danger pour la société.
Le point de vue du psychiatre
Le psychiatre de l'Institut Philippe-Pinel Louis Morissette estime que la colère d'une frange de la population est attribuable à une incompréhension du fonctionnement de la Commission d'examen des troubles mentaux. « On ne revient pas sur le jugement, mais je crois que le bât blesse beaucoup au niveau de la population parce que beaucoup de personnes ne comprennent pas et ne sont pas d'accord avec le verdict », avance M. Morissette. « Ça, c'est une chose. Il y a un appel à ce niveau-là. »
Le psychiatre souligne que le rôle de la Commission d'examen est uniquement d'évaluer le danger que pourrait représenter M. Turcotte pour la société aujourd'hui.
« Aujourd'hui, comment est-il différent? Il a appris à reconnaître son monde intérieur. Il a appris à lire les émotions qui l'habitent. À ce moment-là, il est capable de ne pas accumuler, de ne pas laisser la tension monter. Aujourd'hui, quand il vit une forme d'inconfort psychologique, il va chercher l'information, il va chercher à l'intérieur de lui [...] », exlique Dr Morissette.
La libération de M. Turcotte est conditionnée à la poursuite de son traitement en psychothérapie. Il doit aussi éviter tout contact avec Isabelle Gaston, la mère des victimes, en plus de l'obligation de se présenter chaque année devant la commission et de « garder la paix ». Sa future résidence devra également être approuvée par l'Institut.
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De l'injustice, selon Isabelle Gaston
Son ex-conjointe continue de crier à l'injustice. Elle a d'ailleurs lancé un appel à des changements dans le système. « Je trouve cela complètement absurde [...] », a-t-elle déclaré aux médias. « Même si je m'investis à faire changer le système de justice, à l'heure actuelle, s'il ne change pas, si les ministres, les sous-ministres, le Barreau et le Collège des médecins ne changent pas leur façon de faire, on va continuer à avoir des injustices comme celle-là », a ajouté Isabelle Gaston.
« Je pense qu'on a un problème au niveau de nos experts », estime Mme Gaston. Elle croit qu'il y a un laxisme entourant le travail des témoins experts - une opinion qu'elle dit partagée par plusieurs juristes - et elle déplore l'absence de mesures de contrôle en cette matière. « On peut avoir un point de vue, mais il faut qu'il soit défendable, il faut qu'il soit - peu importe le parti pour lequel on est - démontrable », soutient-elle.
Elle pense que dans l'état actuel des choses, les témoins experts prennent parti au détriment de leurs devoirs scientifiques. « Je pense que lorsqu'on adhère à un parti - que ce soit la défense ou la Couronne - l'expert fait erreur et ne respecte pas son code d'éthique, d'être impartial, rigoureux, objectif et s'appuyer sur la science et les normes en place. »
Mme Gaston dénonce l'instrumentalisation de la médecine pour justifier le recours à l'article 16 du Code criminel concernant l'irresponsabilité criminelle.
Mme Gaston précise que la loi prévoit plusieurs niveaux de préméditation d'un meurtre justement pour tenir compte des prédispositions d'un accusé. Elle estime que le système de justice est en train d'étirer des concepts légaux. Elle ajoute que le rôle et la responsabilité des médecins experts doivent être mieux encadrés.
Malgré tout, Mme Gaston juge que la décision des trois commissaires « était la plus adéquate et la seule que j'espérais être prise. En raison de la jurisprudence, je ne crois pas qu'ils auraient pu être plus sévères ».
Article 16 du Code criminel
(1) La responsabilité criminelle d'une personne n'est pas engagée à l'égard d'un acte ou d'une omission de sa part survenu alors qu'elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l'acte ou de l'omission, ou de savoir que l'acte ou l'omission était mauvais.
Note marginale : Présomption
(2) Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle sous le régime du paragraphe (1); cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve des troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités.
Note marginale : Charge de la preuve
(3) La partie qui entend démontrer que l'accusé était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle a la charge de le prouver.
Sorties progressives
Guy Turcotte était détenu à l'Institut Philippe-Pinel depuis la fin de son procès, en juillet 2011. Depuis juin dernier, il a progressivement bénéficié de sorties avec accompagnement, puis sans accompagnement.
Lors des audiences de la Commission d'examen des troubles mentaux, mercredi matin, l'ex-cardiologue avait demandé une remise en liberté inconditionnelle, en s'engageant à poursuivre sa psychothérapie. Selon les experts qui l'ont rencontré, Guy Turcotte ne représente plus aucun danger pour le public ni pour son ex-conjointe.
Son psychiatre, le Dr Pierre Rochette, disait cependant croire qu'une libération inconditionnelle serait prématurée, en raison du taux de progression de la psychothérapie.
Guy Turcotte a tué ses deux enfants de 3 et 5 ans en février 2009. Il a été reconnu non criminellement responsable de leur mort en juillet 2011.
La Couronne a cependant interjeté appel de ce verdict de non-responsabilité criminelle.